Geraldine F. Montgomery
« Plus loin que la morale” : considérations sur la quête camusienne d’une éthique et d’un au-delà »

Si l’œuvre de Camus a été qualifiée plus d’une fois de “moraliste”, non sans raison par rapport à certains de ses aspects, il est indéniable que ses aspirations profondes dépassent le seul domaine éthique. Ayant juxtaposé dans “Retour à Tipasa” la lumière où il est né et les servitudes de son temps, la beauté et les humiliés, Camus exprime sa volonté de rester fidèle à l’une et aux autres tout en déclarant aussitôt : “ Mais ceci ressemble encore à une morale et nous vivons pour quelque chose qui va plus loin que la morale. Si nous pouvions le nommer, quel silence ” (II, 875). Cette expression du désir devant l’innommable rend impossible le silence et entraîne, dans une perspective lacanienne, une quête au niveau du langage.
Nous basant sur cette citation, notre propos est d’étudier les manifestations de l’éthique dans l’œuvre à travers les actions d’une sélection de personnages forcément réduite et, parallèlement, de dégager des textes analysés les éléments du langage indicatifs du désir de ce “ quelque chose qui va plus loin ”. Dans un premier temps, nous aborderons successivement les trois modes de l’éthique : son absence, soit l’amoralisme lié à la phase de l’absurde et manifesté par les personnages de Don Juan et de Meursault; son refus, soit l’immoralisme manifesté par Caligula et par Clamence ; sa mise en pratique, soit le moralisme de solidarité lié à la phase de la révolte et manifesté par Rieux et Tarrou, mais aussi le moralisme ambigu manifesté par les terroristes Kaliayev, Annenkov et Dora. Les comportements de ces derniers feront l’objet d’une analyse plus approfondie dans le but d’établir, à cent ans de distance, des parallèles entre les formes de terrorisme qu’ils pratiquaient et celles du monde contemporain. Cette juxtaposition nous permettra de montrer l’étonnante actualité de l’éthique camusienne.
Dans un deuxième temps, nous chercherons à montrer, toujours à travers l’étude des actions des mêmes personnages, que les modes éthiques ne sont pas étanches et qu’un personnage peut se définir de manière préférentielle mais non exclusive par rapport à l’un ou à l’autre. L’analyse de cette fluidité morale cherchera à mettre en lumière les motivations des personnages, c’est-à-dire essentiellement les éléments de désir qui les poussent vers un “ au-delà de l’éthique ”, celui-ci suggérant à la fois une transcendance et une intemporalité. En cherchant à repérer dans les textes étudiés les éléments du langage qui trahissent la présence de ce “ quelque chose qui va plus loin ” et que l’on ne peut nommer, nous tenterons aussi d’en cerner la nature et le sens. En même temps, nous chercherons à établir, là aussi, des parallèles avec le désir et la présence de ce “ quelque chose ” dans le monde contemporain. Ceci devrait permettre de mieux saisir la portée “ sur-éthique ” actuelle de l’œuvre.

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